un frisson dans la nuit : Julius Eastman retrouvé

dimanche 25 juillet 2021 par bidonfumant |

La transgression ne paie pas.
Mais faut quand même la faire.
Rien est vrai tout est permis.

Et le voilà , maintenant dans la rue, plus exactement au Tompkins square park, à New York. le lieu des réprouvés et de la révolte. Tout ce qu’il y a de déclassé se retrouve là depuis les années 50
Jusqu’à cette nuit 6 août 88 où tout fut nettoyé violemment par la police. En France, il y a eu la nuit du 4 août et nous, notre nuit du 6 août complètement inversé, on a rétabli les privilèges des gens bien sages et bien conformes.
Dessiné vers 1850, et devenu parc public vers 1870, le parc doit son nom à l’ancien gouverneur de New York, Daniel D. Tompkins, vice-président des États-Unis sous la présidence de James Monroe. Il a été le lieu célèbre d’émeutes sociales le 13 janvier 1874 en raison du chômage et de la pauvreté. Il est considéré également comme la pouponnière de la contestation contre la guerre du Viêt Nam dans les années 1960, en raison de la population jeune et hippie de l’East Village. Dans les années 1980, Tompkins Square Park est devenu pour les New-Yorkais synonyme de misère sociale et d’insécurité, avec une population importante de sans-abris, toxicomanes et l’existence de trafics en tous genres. En août 1988, à la suite d’une décision de police d’évacuer le parc de sa population de sans domiciles, et d’instaurer un couvre-feu, de nouvelles émeutes violentes ont explosé dans la nuit du 6 au 7 août. Elles furent durement réprimées par la police.

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Maintenant, c’est un gentil park, avec de gentils gens.

Pourquoi, je me suis retrouvé là à déambuler de la musique plein la tête et dormir dans ce park, je m’en vais vous le dire. C’est le triste sort des gens qui veulent vivre pleinement.
Ce que j’essaie de réaliser c’est d’être ce que je suis pleinement- pleinement Noir, pleinement musicien, pleinement homosexuel.2

Trop de drogue , d’alcool et de tout sans doute , mais surtout un rejet, un déclassement constant. Puis, je m’effondre définitivement , un matin de 1980.
un sherif débarque dans mon appartement d’east village , m’expulse et balance mes affaires dans la rue.
Toutes mes partitions, toute ma musique composée durant toutes ces années , jetée sur le trottoir.. Je suis parti et c’est comme ça que je me suis retrouvé à tompkins square park, de la musique plein la tête, plus personne pour la jouer, plus personne pour l’entendre.
Juste composer pour moi tout seul, un Beethoven non pas sourd mais noir et homosexuel et américain.
Au fait, je m’appelle Julius Eastman et la musique que vous écoutez est mienne.

Pour un noir s’inscrire dans un monde totalement blanc reste problématique, et la musique classique et contemporaine est un de ces modèles totalement cloisonné où finalement, on cultive l’entre soi. D’ailleurs, c’est la répétition ad eternam du même modèle où l’on s’étripe sur le bon tempo.
Dans les stéréotypes attachés aux noirs, tels qu’aurait pu les énoncer le prince Philip, il y a par exemple : « ils ont la musique dans le sang », certes mais pas la musique classique à première vue (voir Nina Simone et à son impossibilité à vivre son rêve.

Il est certain que Julius Eastman était peut-être irascible, ingérable, intransigeant , détaché des contingences matérielles, mais il y a de nombreux exemples d’artistes qui ont les mêmes caractéristiques et qui n’ont pas connu un tel destin, mais sont-ils noirs ?

Les provocations qu’il a pu faire, avançant sa négritude et son homosexualité ne sont guère plus provocantes que d’autres. Que dirait-on aujourd’hui si un rapper brûlait un billet de 50 € à la télé. ? Encore quelques cris. À bas l’Antifrance !

Ce ne sont que quelques remarques qui sont posées confusément mais que Julius Eastman soit mort à 49 ans d’indifférence et dans l’indifférence, que sa musique fut oubliée est un sacré problème.
En 2015 sort un livre dirigé par Renée Levine Packer et Mary Jane Keach ; Julius Eastman et sa musique (je crois que ce livre n’existe pas en français).
Une douzaine d’articles écrit par des compositeurs ou musicologues composent ce livre.
Une des contribution est écrite Matthew Mendez,
Ce chapitre nommé “That Piece does not exist without Julius » de Matthew Mendez nous ramène à la question de cette incarnation mais aussi à la question du contexte. Qui joue les œuvres de Eastman ?
Pour Mendez, il n’y a pas le choix ; l’alternative c’est le silence sinon Eastman sombre dans l’oubli total. Mais quel sens y a t-il alors que ses œuvres ne soient interprétées que par des musicien(ne)s blanc(he)s, dans des lieux qui excluent ? Et effectivement si vous regardez sur des plateformes comme youtube ou vimeo vous ne trouverez que des interprètes blancs de l’œuvre de Eastman et un public exclusivement blanc.
Cette postérité ambiguë n’est pas sans nous ramener au scandale de la Northwestern University.
Que reste-t-il de l’infréquentabilité et de la provocation lorsque même le corps n’est plus là pour porter le dérangement ? Quand le concret du destin n’est pas là pour charger les notes ?
Au terme minimaliste, Julius Eastman préférait celui de musique organique.
Et c’est ainsi que nous le souhaitons, que nous le rêvons, cet héritage paradoxal de sa musique : organique, physique, entièrement chargé de ce destin de génie noir, queer et pauvre.
C’est ainsi que nous voulons recevoir Eastman.
Peut-être est-il bon d’interroger les réunions interdites aux blancs avec la perspective de ces longues années racistes, de ces impossibilités à réaliser leurs rêves, en sachant que faire des lois antiracistes n’est, pas un vaccin contre le racisme et le mépris de classe.




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